L’éruption le 20 mai dernier du forage d’exploration Macondo opéré par BP dans le golf du Mexique a déclenché une des plus grandes marées noires dans l’histoire de l’industrie pétrolière.
Le bilan est lourd : 11 disparus, plus de 4 millions de barils de brut (estimation) déversés dans le golf du Mexique. Mais l’on retiendra aussi, et pour longtemps, une suspicion globale à l’encontre des forages en mer profonde, et de la faculté des grands opérateurs à maîtriser ces techniques complexes. Comment un tel accident a pu arriver, à une compagnie majeure, sur un rig de forage récent, dans le jardin d’exploration favori des USA ?Par une amère ironie, le numéro d’avril 2010 du mensuel Explorer était consacré au Golf du Mexique, avec comme sous titre « The Mother lode » (le filon mère !). Dans son éditorial comme toujours très tranché, John C.Lorenz – président de L’AAPG- s’en prenait à l’administration Obama et son désir de réforme, en défendant le bilan environnemental des activités de forage. « …modern drilling practices and regulations have progressed to the point where they are arguably environmentally friendly”. Et il est vrai que l’on a surtout en mémoire les fuites d’hydrocarbures dues aux accidents maritimes (Amoco Cadix, Exxon Valdez..) ou à des faits de guerre (Irak 1991), et qu’il faut remonter au moins 30 ans en arrière pour retrouver un accident de forage aussi grave (Puits Ixtoc au Mexique en 1980 – 3,5 millions de barils) voir un siècle pour le plus grave d’entre eux (Lakeview Gusher en Californie 1910 – 9 millions de barils estimés). On pouvait donc espérer, avec John C.Lorenz, que les techniques modernes de forage puissent largement couvrir les risques liés aux objectifs toujours plus ambitieux en terme de profondeur. La réalité nous ramène comme souvent à plus de modestie.
Alors que s’est il passé pour en arriver là ?. Les commissions d’enquête sont en marche, et nul doute que le débat, plein d’enjeux , sera long et nourri. Mais par rapport à toutes les imprécisions et ignorances décelables dans les articles et commentaires, faisons un petit rappel sur le forage pétrolier et sa sécurité.
Les couches traversées par un forage sont plus ou moins étanches ou poreuses, et dans ce cas contiennent des fluides (eau, pétrole, gaz) qui sont à des pressions variables. Lorsqu’on les fore, il faut donc contrecarrer la pression du réservoir en remplissant le trou de forage par de la boue, dont on règle la densité à cet effet. C’est la préoccupation majeure du foreur que de s’assurer de cet équilibre et d’éviter l’éruption (blow out). Quand une phase de forage est terminée, et pour s’assurer de la stabilité dans le temps de l’ouvrage, on va alors descendre dans le trou nu un cuvelage (large tube métallique appelé casing), et l’on va le fixer en injectant du ciment entre lui et la roche (l’annulaire -voir schéma).
Les niveaux réservoirs sont alors isolés du trou, et le puits est en sécurité. On va en fait faire dans un puits différentes phases de forages de diamètres de plus en plus petits, dans lesquels on descendra différents cuvelages remontant jusqu’à la surface (casing) ou fixés au précédent (liner). L’ensemble constitue l’architecture du forage, et se prépare soigneusement en fonction des objectifs et des contraintes. On ajoute à ce dispositif des systèmes de vannes de sécurité pour contenir des éventuelles remontées de fluide dans le puits. C’est le BOP (blow out preventer), capable de cisailler toute tige de forage et de fermer un puits. Ce BOP est en général à la surface, mais pour les puits forés par grande profondeur d’eau, il est installé au fond de l’eau pour plus de sécurité.
Au moment de l’éruption le puits Macondo avait été foré jusqu’à la profondeur de 5600m, avec une profondeur d’eau de 1500m. Un réservoir à hydrocarbures d’environ 23m d’épaisseur cumulée d’après les logs a été identifié. Le dernier casing a été descendu et cimenté et le puits, supposé en sécurité devait alors être préparé pour une procédure d’abandon provisoire. La moindre modification des caractéristiques de boue a déclenché l’éruption. Le gaz et l’huile du réservoir sont à priori remontés par l’annulaire imparfaitement cimenté, ont fait sauter toutes les barrière en tête de casing et ont mis le feu à la plate forme. La tentative de se déconnecter et de fermer le BOP n’a pas fonctionné, celui-ci ne permettant pas de fermer le puits et donc de stopper une fuite sous-marine qui a duré environ trois mois.
Les recherches de responsabilités s’orientent dans différentes directions :
- L’architecture globale du puits : le choix des casing et liners descendus dans ce puits a-t-il été pertinent par rapport aux risques ?.
- La procédure de mise en place et de cimentation du casing : le dernier casing de production a-t-il été descendu avec un nombre de centreur suffisant permettant un bon passage du ciment dans l’annulaire ? La cimentation s’est elle bien déroulée ?
- Les vérifications de l’étanchéité du puits : les logs permettant de vérifier la répartition du ciment dans l’annulaire ont-ils été faits et analysés ? les tests d’étanchéité de l’annulaire ont-ils été concluants ?
- Le dysfonctionnement du BOP : l’entretien et les tests du BOP ont-ils été correctement fait ?
Tous ces sujets seront âprement discutés, surtout qu’ils font intervenir différentes compagnies intervenant sur le forage, ainsi que les autorités minières américaines qui ont approuvé et autorisé le puits. Mais le mal est fait, en terme humain et écologique d’abord, et ensuite dans la confiance que l’on pouvait avoir dans la maîtrise des forages profonds.